Le référé-suspension : voilà bien un nom de procédure qui peut en laisser un certain nombre sur le bord de la route. Pourtant, il peut s’avérer très utile. Entre autres, si une personne souhaite suspendre une décision de l’administration en sa défaveur. Dans ce but, une requête en référé-suspension suppose de respecter certaines conditions. Le point dans cet article.
On le confond souvent avec le permis blanc qui autorise la conduite pendant certaines plages horaires pour des motifs professionnels suite à une suspension judiciaire du permis de conduire. Pourtant, le référé-suspension est une procédure bien spécifique. On l’initie en parallèle d’un recours contentieux. Objectif : obtenir la suspension de l’exécution d’une décision prise par l’administration qui est défavorable au justiciable.
C’est le juge des référés qui prend la décision de référé-suspension. Comme le prévoit l’article L511-1 du Code de de justice administrative, celui-ci “n’est pas saisi du principal et se prononce dans les meilleurs délais”. En d’autres termes, le référé-suspension constitue une solution temporaire afin de répondre, entre autres, à une situation d’urgence. Mais qu’implique-t-il plus précisément ? Quelles sont les conditions que doit notamment remplir une requête en référé-suspension ?
Référé-suspension : mise en pause
Le référé-suspension est un recours que l’on engage devant le Président du Tribunal administratif. Par exemple, dans le cas de l’annulation du permis de conduire suite à la réception d’une lettre 48 SI. Ou bien encore, dans le cas de la suspension administrative de ce dernier. Le contrevenant a connaissance du résultat quelques jours après avoir formé son recours par voie de requête.
Le référé-suspension implique de former en parallèle un recours contentieux auprès du Tribunal administratif. On y joint la copie de la requête introductive au fond pour éviter tout risque d’irrecevabilité. Si la juridiction administrative l’accueille valablement, il se borne à suspendre les effets de la décision attaquée dans l’attente de celle prise au fond par le Tribunal administratif. Autrement dit, un référé-suspension ne statue en aucun cas sur la légalité de l’acte.
Référé-suspension et récupération de points
Concrètement, dans les deux exemples précédents, le référé-suspension autorise la personne à conduire en toute légalité jusqu’à ce que le juge de fond prenne sa décision. Il reste donc provisoire. En outre, il n’autorise pas le contrevenant à récupérer des points sur son permis de conduire en suivant un stage de récupération.
Dans ce sens, le Conseil d’État a précisé dans son arrêt n° 370324, rendu le 21 octobre 2013, que “la circonstance d’une telle décision a été suspendue par le juge des référés et n’a pas pour effet, eu égard au caractère provisoire de la suspension, de rouvrir à l’intéressé une possibilité de récupération de points […].”
Les conditions du référé-suspension
On doit pouvoir démontrer deux conditions cumulatives pour qu’une requête en référé-suspension soit valablement accueillie :
- D’une part, une condition d’urgence. Et ce, dans le but de mettre fin temporairement à l’exécution de l’acte attaqué dans l’attente de la décision de fond.
- D’autre part, un doute sérieux de nature à justifier l’annulation ultérieure de la décision attaquée.
Condition d’urgence
Pour apprécier cette dernière, le juge des référés privilégie une approche au cas par cas. De plus, il considère in concreto la requête que le pétitionnaire (ou demandeur) lui soumet, ainsi que les arguments et les pièces justificatives que cette dernière contient. Enfin, la plupart du temps, cette notion d’urgence est estimée de manière éminemment restrictive. Par conséquent, il s’agit pour le demandeur de fournir tous les éléments permettant de convaincre le juge tout en démontrant que l’exécution de l’acte lui porte atteinte de façon grave et immédiate.
Dès lors, le juge des référés établit un “bilan” entre ce que le demandeur lui présente et la gravité ou non de son comportement au regard des infractions qu’il a déjà commises. De fait, il peut estimer opportun de protéger avant tout l’intérêt public. Et ce, en caractérisant le comportement du demandeur comme étant particulièrement dangereux et irresponsable.
Professionnels de la route
Les chauffeurs de taxi, ou bien encore, les chauffeurs routiers, ont la possibilité de mettre en avant la durée de la procédure au fond, inconciliable avec l’exercice de leur fonction. Il s’agit là d’une situation caractérisant l’existence d’une atteinte grave et immédiate. Ce que n’a pas manqué de relever le Conseil d’État dans son arrêt n° 322303 du 13 mars 2009, suite à l’invalidation du permis de conduire d’un chauffeur de taxi pour perte totale de ses points.
En tout état de cause, il convient d’apporter au magistrat tous les éléments susceptibles d’emporter sa conviction. Surtout si l’intéressé a déjà commis plusieurs infractions. En effet, le magistrat en a nécessairement connaissance.
Doute sérieux quant à la légalité de l’acte
Le juge des référés examine valablement cette seconde condition seulement s’il estime que la condition d’urgence est au rendez-vous. En outre, dans le cadre de la procédure au fond, pour emporter la conviction tant du juge du fond que du juge des référés, un recours contentieux suppose de démontrer la violation des dispositions des articles L223-3 et R223-3 du Code de la route.
À partir de cet instant, le requérant se doit d’apporter tout élément permettant de faire naître un doute sur la légalité de l’acte. Dans ce sens, son action vise à soutenir qu’il n’a pas reçu l’information prévue par les articles précités.
Cas pratique : la suspension du permis de conduire
Lorsque l’Administration prend le soin de fournir le relevé intégral d’information de points (RII) avant que le juge des référés ne rende sa décision, ce dernier peut l’examiner. Puis estimer les infractions ayant a priori donné lieu au paiement d’une amende.
- Si les infractions ont abouti à une amende que le contrevenant a payée, celui-ci est réputé avoir reçu l’information préalable prévue par les dispositions des articles L223-3 et R223-3 du Code de la route. Exception faite pour le paiement immédiat entre les mains de l’agent verbalisateur qui peut faire débat.
- En cas d’amende majorée, si celle-ci n’a pas été envoyée en recommandé et que le conducteur ne l’a pas réglée, le juge administratif se retrouve dans l’incapacité de s’assurer de la délivrance de l’information donnée à l’administré. En l’occurrence, quant à la perte de ses points au regard de l’infraction reprochée.
Référé-suspension : réalités actuelles et délai d’obtention
La jurisprudence actuelle semble clairement de moins en moins favorable à l’administré. De fait, la manière d’analyser la notion de “doute sérieux sur la légalité de l’acte attaqué” est de plus en plus restrictive. Cette réalité s’ajoute à la technicité que requiert la procédure de référé-suspension. Pour toutes ces raisons, l’accompagnement d’un avocat qui a fait du droit routier sa spécialité est chaudement recommandé.
Généralement, le délai d’obtention est de moins de quinze jours. Dans certaines circonstances, le juge des référés n’attend même pas les éléments de réponse du Ministère de l’Intérieur. Dès lors, il rend sa décision sans débat. Cela est éminemment contestable et peut justifier le dépôt d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC), visant notamment les dispositions de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) relatives au procès équitable.