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L’affaire Pierre Palmade, ou l’histoire d’un emballement politico-médiatique

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Les propositions du Ministre de l’Intérieur ce week-end s’inscrivent dans le prolongement de l’affaire Pierre Palmade. Prenons de la hauteur si vous le voulez bien. Ne cédons pas à la tentation de l’émotion. Et posons-nous les véritables et bonnes questions pour que justice pénale rime avec efficacité et justesse.

Depuis quelques jours, nous assistons à un emballement médiatique hors norme qui agite la sphère du droit pénal routier. Je me garderai bien de tout commentaire concernant cette malheureuse affaire. Cependant, il est utile de rappeler qu’à l’occasion de chaque élection, on a parfois coutume de dire que les politiques se mettent à l’heure des promesses.

C’est d’autant plus le cas lorsque surgissent certaines affaires pénales fortement médiatisées comme l’affaire Pierre Palmade. Ces mêmes politiques peuvent dès lors être tentés de sortir de leur zone de confort. Par exemple, en faisant des « déclarations chocs », la plupart du temps sans grand recul. Et avec pour unique dessein de répondre aux réactions d’une frange de la population qui leur serait favorable.

Le Ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, n’a pas failli à ce périlleux et osé exercice. Samedi 18 février dans le Journal du Dimanche, il a déclaré de façon tonitruante qu’il souhaitait que les délits de conduite en ayant fait usage de stupéfiants puissent entraîner une perte de 12 points et non plus de 6. Par ailleurs, il a partagé sa volonté de créer une nouvelle infraction pénale de nature criminelle : le crime d’homicide routier volontaire. Évoquons ces deux propositions pour en contester le bien-fondé.

Première proposition : perte de 12 points en cas de stupéfiants au volant

Cette proposition me paraît totalement démagogique et assurément contre-productive. En effet, elle est uniquement prévue par le Ministre en matière de conduite après avoir fait usage de stupéfiants. De fait, elle écarte la conduite en état d’alcoolémie. Serait-il plus grave de conduire après avoir consommé des stupéfiants dont la présence dans le corps peut, dans l’absolu, être détectée plusieurs jours après leur consommation et n’avoir aucun effet psychoactif sur la conduite d’un véhicule, par rapport à un état d’alcoolémie dont le taux dépasserait, par exemple, deux grammes d’alcool dans le sang ?

En outre, est-il normal que la consommation de produits à base de CBD, dont la vente est parfaitement légale, puisse entraîner une poursuite du chef de conduite en ayant fait usage de stupéfiants ? Surtout lorsque l’on sait que de tels produits, qui contiennent du THC dont la limite légale est inférieure à 0,3%, suffiraient malgré tout à entraîner des poursuites pénales ?

Et puis, une perte de 12 points entraînerait automatiquement l’invalidation du permis de conduire. Et ce, avec toutes les conséquences induites pour le conducteur concerné à l’instar de la perte éventuelle de son emploi. Sauf si son solde de points est au moins à 9 et qu’il se dépêche d’effectuer un stage de récupération de points afin de se voir recréditer 4 points avant de recevoir la décision 48 SI.

Mon sentiment concernant cette première proposition du Ministre 

Une perte de 6 points est déjà bien suffisante. En effet, elle représente la moitié du capital de points d’un permis de conduire (en-dehors du permis probatoire). Par ailleurs, la récidive de conduite en ayant fait usage de stupéfiants (ainsi qu’en état d’alcoolémie) prévoit l’annulation automatique du permis. Cela constitue déjà une mesure lourde de conséquences, surtout pour des consommateurs occasionnels ayant fait usage de stupéfiants plusieurs jours avant de prendre le volant. Ou pire, pour les consommateurs exclusifs de CBD, produits légalement autorisés à la vente donc.

Et quid du refus de se soumettre à une mesure de vérification des stupéfiants entraînant juridiquement et en pratique les mêmes conséquences que celles découlant de l’infraction de conduite sous stupéfiants ?

Seconde proposition : l’infraction criminelle d’homicide routier volontaire

Cette idée n’est pas déroutante. En effet, il est possible d’imaginer juridiquement des poursuites sur la base d’une conduite sous stupéfiants (ou en cas d’alcoolémie au volant), en ayant conscience que cette conduite aurait pour risque assumé de causer la mort d’une ou plusieurs personnes.

Cependant, cette mesure irait à contre-courant de la politique pénale actuelle. Dans ce sens, l’État fait tout pour désengorger le système judiciaire. Il « correctionnalise » des faits qui, pourtant, mériteraient juridiquement une qualification criminelle. C’est le cas notamment pour le viol qui se retrouve poursuivi en agression sexuelle. Mais également pour le vol à main armé, poursuivi quant à lui en vol avec violence.

Par ailleurs, la qualification criminelle envisagée, qui serait celle d’un homicide routier volontaire, supposerait nécessairement de prouver la volonté du conducteur concerné de donner la mort. Ceci est rappelé dans l’expression animus necandi. En l’espèce, cela ferait nécessairement défaut sur un plan strictement juridique.

Quelles alternatives à ces deux propositions ?

À mon sens, la proposition prévoyant la perte de 12 points, réservée aux conduites en ayant fait usage de stupéfiants et ne concernant pas l’alcool, tout comme celle créant une nouvelle infraction criminelle d’homicide routier volontaire, mériteraient d’être totalement écartées. Ne serait-il pas plus opportun en effet d’appuyer nos efforts sur la prévention ainsi que sur l’efficacité de la sanction ?

Concernant ce dernier point, il s’agirait de privilégier une comparution obligatoire devant une juridiction en matière de conduite sous stupéfiants et/ou en alcoolémie. Et ce, en écartant la procédure d’ordonnance pénale pour ces deux infractions. Objectif : que puisse se tenir un véritable débat favorisant une prise de conscience de l’intéressé beaucoup plus prégnante qu’une notification d’une ordonnance pénale. La plupart du temps, c’est un délégué du procureur qui réalise cette ordonnance, à la queue leu leu et en cinq minutes chrono. Dès lors, que reste-t-il de la dimension symbolique d’une justice se devant de faire prendre conscience de la gravité des faits commis et jugés ?